PAROISSE SAINT ANTOINE DE PADOUE

PAROISSE SAINT ANTOINE DE PADOUE

                                                                     HONORER LA MEMOIRE


 
Lorsque les archéologues de la théorie de l'évolution ont voulu savoir comment distinguer un homme d'un singe, le critère qui a été retenu est le fait d'enterrer ses morts. Un singe ne se soucie pas de cela. En revanche, honorer ceux avec qui on a vécu, en faire mémoire, se souvenir des moments passés ensemble, espérer pour eux une autre vie, une vie meilleure, tout cela est éminemment humain, éminemment profond.
Honorer la mémoire ne veut pas dire qu'on continue à vivre dans le passé, comme des gens qui regrettent sans cesse une période dorée et révolue ("c'était le bon temps!"). Honorer la mémoire ne veut pas dire se fermer aux nouveautés, aux changements, aux améliorations, aux adaptations nécessaires, mais se situer avec sagesse entre le passé et l'avenir, savoir tirer les conséquences de l'un et faire des projets réalistes pour l'autre: tirer les leçons de ses échecs et de ses erreurs, retenir ce qui a été bon, savoir qu'on ne vient pas de nulle part et qu'on est responsable de ce qu'on laissera aux autres.
Notre calendrier est ponctué de ces moments de mémoire: on fait mémoire du 11 novembre, du 8 mai, pas simplement dans un sens futile ("chouette, un jour de congé!"), mais parce qu'on se souvient que la guerre est un fléau dont on souhaite être protégé, être délivré, "heureux les artisans de paix" (Mt 5,9). On se souvient que si nous sommes libres aujourd'hui, si nous vivons en paix, d'autres, avant nous, ont donné leur sang, ont donné leur vie, ont sacrifié leur histoire, leur bonheur, pour nous défendre. Beaucoup avaient à peine plus de 20 ans. Ils l'ont fait sans trop savoir le fruit de leur engagement, mais ils l'ont fait pour nous. Honorer la mémoire, c'est prendre conscience de la valeur de ce qui a été donné, de ce qu'on a reçu.
Le 2 novembre, on fait mémoire des défunts de nos familles. Ce n'est pas pour ressasser des tristesses, mais bien pour se rappeler de la valeur de ce qu'on a vécu ensemble, de ce qui a été donné et reçu, y voir une étincelle d'éternité, croire que quelque chose reste entre nous, même si on le vit désormais d'une manière différente: eux déjà au Ciel, et nous encore pèlerins. Le poids d'une vie se mesure quelque part à la profondeur, à l'authenticité de ce qu'on a pu être et partager ("au soir de notre vie, nous serons jugés sur l'amour" – parce que l'amour demeure pour toujours: "l'amour ne passera jamais" (1 Co 13,8)). Quel est le sens d'une société qui ne sait plus faire mémoire, qui ne sait plus honorer ceux avec qui elle a vécu des moments forts, ceux dont elle a reçu la vie ? N'est-ce pas une société qui ne vit plus qu'à la surface d'elle-même ? qui n'accorde plus d'importance à ce qui est profond, à ce qui demeure ? qui ne s'intéresse qu'à l'instant présent, à ses caprices du moment, à sa consommation ? Tout cela, le singe le fait pareillement: il se préoccupe surtout d'avoir plus de bananes… mais n'y a-t-il pas quelque chose de plus dans l'homme ? quelque chose de plus à conserver, quelque chose de plus à défendre, quelque chose de plus à vivre auprès de nos proches défunts ?


                                                                                                                     P. Yann POINTEL